Abraham Estin, médecin humaniste
 
Abraham Estin, gosse de Grodon


 

Voir Polyglottie.

Chapitre 2, p.10   De retour à Grodno

« Il me fallut quinze ans pour comprendre qu'en apprenant la mort de mon père, ce n'est pas dans le désespoir que j'avais sombré, mais purement et simplement dans une jalousie atroce contre tout ce monde qui d'une simple pensée pouvait faire ressurgir son image. Pour moi, son fils unique, il était un inconnu, un étranger. »

Arrivés à la gare de Grodno, Yossef, ’Hayélé et leur mère sont accueillis par la famille paternelle. La grand-mère, Dveyré, annonce d’un regard la mort de Wolf. Passée sa première explosion de chagrin, Yossef décide de reconstituer le portrait de celui-ci. L’enfant perçoit immédiatement un lien qui se tisse avec sa grand-mère ; il décide d’apprendre le yiddish pour parler avec elle. 
La famille loge d’abord chez une sœur de Wolf. C’est Yossef qui, au bout d’un an, trouve un modeste deux pièces dans une ruelle miséreuse, Yourzyka, qui délimitait jadis le ghetto de Grodno (Les deux ghettos, photo n°2 dans la galerie de photos). Rivtzia s’est mise à travailler comme brodeuse ; malgré son succès leurs conditions matérielles restent difficiles. Yossef découvre peu à peu sa rue, son quartier, sa ville, mais sa mère et lui ont du mal à s’intégrer, alors que ’Hayélé trace sa route allègrement.



Chapitre 3, p.16   A la recherche du père

« Méïr était apprenti chez un boulanger, Malovist. Un vendredi à midi, est arrivé un chargement de farine. Il fallait bien décharger les sacs, n'est-ce pas ? Où trouver un homme qui veuille d'un travail pareil un vendredi à midi ? Il a couru à la bourse aux portefaix. Un seul a accepté de venir : Yossef-qui-ne-jure-jamais. C'était vraiment le seul portefaix à ne jamais jurer. L'accident est arrivé au dernier sac. Yossef était monté sur le plateau du chariot pour s'en saisir quand brusquement la rosse a pris peur et s'est emportée : le charretier, pressé d'aller boire un verre, avait oublié de l'attacher… Le pauvre tâcheron a basculé et il est tombé sous la roue du lourd véhicule. C'était la première fois que Méïr voyait un homme mourir. »

Dès le premier jour d’école, ’Hayélé conseille à son frère de devenir premier de sa classe pour se faire respecter de ses camarades. Le frère et la sœur se mettent au yiddish et au polonais. Une soif d’apprendre s’empare de Yossef, qui découvre également la passion de la lecture.
Les samedis et jours de fête Yossef accompagne sa mère lors des visites dans la famille ou le voisinage. Le repas du shabbath, chez la tante Gruntzia, est un moment riche d’émotions très nouvelles pour lui. 
Yossef interroge son entourage sur son père ; il rencontre deux amis de Wolf militants politiques : Michaël Gożanski, l’intellectuel, le théoricien, directeur de l’École Professionnelle et Méïr Kobrynski, l’homme d’action qui vit encore dans la clandestinité. Méïr raconte à Yossef la mort de son grand-père, le mari de Dveyré, surnommé Yossef-qui-ne-jure-jamais. Rivtzia compare Méïr à un personnage de Scholem Alei’hem.
Entre-temps Yossef prend des leçons d’hébreu pour faire sa bar-mitzva, sa confirmation religieuse. Il est entré à l’École Professionnelle pour étudier la mécanique.


Chapitre 4, p.29   Yossef se rase pour la première fois

« C’est à Paris qu’elle est, la Grande Tour. Monsieur Eiffel a allumé tout en haut trois loupiotes. Elles n’éclairent pas très fort, mais l’important est qu’elles brillent nuit et jour et que chacun puisse les voir. La lumière de la première est bleue, celle de la deuxième est blanche, celle de la troisième rouge. Bleue : parce que le ciel est bleu : tous y sont frères. Blanche : parce que blanc est le linceul et il n'a pas de poches : devant la mort tout le monde, riche ou pauvre, est égal. Rouge est le sang : la route de la liberté est sanglante. »

L’avant-veille de sa bar-mitzva, Yossef se rase pour la première fois, utilisant le nécessaire de son père. Maryié, une marchande de volailles, femme généreuse, haute en couleurs assiste à « la naissance d’un homme ».
Amoureuse de Paris, ville de Monsieur Eiffel et de la liberté, elle conseille à Yossef de quitter Grodno, d’autant qu’elle pressent un grand malheur à venir.


Chapitre 5, p.32   Le Niémen

« Pour Wolf, le Niémen était un innocent condamné à une peine de réclusion perpétuelle. Te rends-tu compte, me disait-il, ce que c’est que d’être dès sa naissance enfermé entre ses deux rives, comme dans une prison, nuit et jour dirigé, surveillé par deux gardes ? Quand l’eau du ciel apporte  au fleuve sa sève vive du printemps, il essaie de reconquérir sa liberté. Une vallée à gauche, un bas de village à droite ou encore un inoffensif pâturage au ras des flots, il ne néglige aucune voie. Pour lui la fin justifie les moyens. »

Yossef projette de s’évader par le Niémen, afin de rejoindre l’Ouest et la liberté. L’adolescent se rend fréquemment au bord du fleuve, qu’il observe longuement au fil des saisons et pour lequel il éprouve un mélange d’admiration et de tendresse.


Chapitre 6, p.37   Hors du cocon familial

« J’étais trop bouleversé par ce pain sur lequel on avait fait le signe de croix. J’ai décidé de ne pas y toucher. J’étais fier à l’idée que j’étais en train de surmonter une épreuve à laquelle même mon père n’avait jamais eu à faire front ; mais aussi plein d’appréhension. »

Jan, un paysan polonais qui livre le bois de chauffage, invite Yossef à la pêche. A quinze ans, Yossef va pour la première fois manger et dormir chez une famille chrétienne. Rien n’est épargné au jeune garçon : signe de croix sur le pain, crucifix imposant, omelette au lard, sarcasme devant les difficultés du jeune pêcheur.


Chapitre 7, p.44   Qu'est-ce qu'être juif ?

« (Le rabbin ) était un vrai tzadik, un juste, légendaire par sa piété, son érudition et sa pauvreté. “Pauvre comme le Rabbi Shkop” était devenu une expression populaire. Son indigence était telle qu'on disait : “Heureusement que par piété il jeûne deux fois par semaine, sans cela il serait mort de faim.” »

Après avoir rencontré le rabbin Shimon Shkop, Yossef se décide à interroger sa mère : pourquoi sait-il si peu de chose sur le judaïsme ? Pourquoi sa mère ne pratiquait-elle quasiment pas la religion en Russie ? Pourquoi est-ce différent à Grodno ? Rivtzia confesse avoir voulu protéger ses enfants en les éloignant du judaïsme — Wolf n’a-t-il pas été arrêté parce qu’il était juif ?  Quant à ’Hayélé, elle semble très attachée à son identité juive.


Chapitre 8, p.47   Les pionniers sionistes

« Si vous saviez ce que c’est … Sortir du "shtetl [bourgade juive]", quitter la maison pendant trois semaines ! Se retrouver dans une belle forêt de sapins. Plus rien de la grisaille habituelle. Tout est vert autour de votre tente. On discute et on chante, on s’instruit et on danse, on écoute des conférences et on s’amuse ! »

Yossef entre en contact avec les jeunes du mouvement sioniste socialiste Ha-Shomer Ha-Tzair, le Jeune Gardien, qui viennent chez lui couper du bois. Zalman, l’un de ces pionniers, invite Yossef à leur rendre visite un soir dans leur local communautaire et même à rejoindre leur mouvement.


Chapitre 9, p.52   Les débuts d'un journaliste

« Tout ce travail était absolument nouveau pour moi et c’est avec une véritable faim d’apprendre que je m’étais lancé dans la chasse aux documents anciens. »

Yossef entre au journal vivant du  Ha-Shomer Ha-Tzair, dans la rubrique des faits divers. Il est chargé d’écrire un article sur la communauté juive de Grodno. Malheureusement un lapsus dans la présentation de son travail à la rédaction réveille l’opposition entre bundistes et sionistes : c’est la fin de sa carrière journalistique. Désappointé, il part chez sa tante à la campagne. 


Chapitre 10, p.56  Szczuczyn, le shtetl

«  A-t-on déjà entendu parler d’un marchand de bois qui achète une coupe de chênes et ne les abat pas, parce que c’est dommage de faire mourir de beaux arbres ? Tel était mon grand-père, et c’est pour cela qu’il a fallu vendre le grand domaine de Maloshovitzé qui lui venait de son père Itzhak. »

Au shtetl de Szczuczyn, la bourgade juive typique, vit la famille maternelle de Yossef. Le jeune homme est accueilli par un certain nombre de rituels : rencontre des voisins, visite de la réserve pleine de bocaux, le grenier et ses trésors, dont une grande armoire de livres en français – ceux du père de Rivtzia, mort en 1915. Comparée au logement étriqué de Grodno, la maison spacieuse et confortable semble à Yossef le paradis. Surtout, il mène à la campagne une vraie vie d’enfant, rythmée par la tournée de l’agent de police, chargé de scruter le crottin de cheval, la séance hebdomadaire de cinéma et, bien sûr, du marché, plein de vie, d’odeurs et de couleurs. Yossef observe les artisans et découvre le travail manuel.


Chapitre 11, p.67  A l'Ecole Professionnelle

« Sentir un outil dans la main, vivre avec lui, c'était la grande affaire. Comment expliquer ce que cela vous donne de fignoler à la main, par petites touches, une cannelure ou une queue d'aronde ? Ou encore affûter la menue denture d'une scie à métaux ? Satisfaction ? Plaisir ? Plus que cela. Tout simplement une sensation de grand bien-être. »

Pendant ses trois années à l’École professionnelle, Yossef prend ses études au sérieux et acquiert le goût du travail bien fait. Il participe à une grève des études pour défendre un camarade menacé de renvoi. Puis il tient tête à un rude gaillard qui cherche à l’intimider, Shmelik Ganev (« Voleur ») stigmatisé pour avoir jadis volé quelques cerises. Le père de cet ours mal léché est lui-même surnommé Dreckman (Lemerdeux), son métier étant de transporter les tinettes dans la ville.  Avec Shmelik, Yossef découvre la réelle pauvreté, et en même temps, l’amitié. De son côté, reçu chez Yossef, Shmelik tombe éperdument amoureux de ’Hayélé.


Chapitre 12, p.72  L'avocat

« … mon regard, après avoir glissé rapidement sur Ignacy, se posa sur la belle étrangère qui occupait la place habituelle de Ritzvia. Ses cheveux étaient coupés à la garçonne, selon la mode, ses lèvres charnues, soulignées par un soupçon de rouge, s'épanouissaient en un sourire heureux, captivant. Les yeux me sortirent de la tête, un épais brouillard obscurcit ma vue. Un vertige me saisit et je m’affaissai par terre. La nuit descendit sur moi. »

Pour se défendre de leur propriétaire malveillant, Rivtzia fait appel à un avocat. Progressivement cet homme distingué, qui porte le prénom très polonais d’Ignacy, s’immisce dans leur vie quotidienne. Lorsque Yossef réalise pleinement la force de séduction de cet homme sur sa mère, il en tombe malade. C’est sa grand-mère, bobé Dveyré, qui se penche tendrement sur son chevet. Par ailleurs, pour signifier qu’il n’y a rien de répréhensible dans la conduite de sa belle-fille, elle offre à celle-ci une broche que Wolf lui avait donnée la veille de son mariage.


Chapitre 13, p.78  Lounia

« Bizarrement, couché par terre en bleu de travail, une ridicule petite casquette à visière sale sur la tête, la figure barbouillée d'huile, les mains crasseuses de cambouis, je me suis senti à l'aise en sa présence. »

Yossef est maintenant diplômé de l’École Professionnelle en mécanique et commence à travailler en usine. Il continue de nourrir son rêve de partir en France, mais pour le moment il ne peut espérer obtenir de visa, à cause de la crise de 1929. Dans une de ses places de travail, il fait la connaissance de Lounia, une jeune fille apparemment audacieuse, très courtisée. Yossef est aussi dépaysé, car les parents de celle-ci vivent séparés, situation très choquante à Grodno. Cela n’empêche pas le père de Lounia d’avoir des projets pour Yossef, qui aurait à ses yeux « le profil idéal de l’associé ». Mais Yossef reste fidèle à son projet personnel, et la liaison tourne court.

 

























































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